H.
République Démocratique du Congo
Témoignage recueilli le 3 août 2018
J
‘ai quitté la République Démocratique du Congo en 2015. J’étais une jeune femme seule de 28 ans. J’ai quitté mon pays pour des raisons politiques.
Je suis arrivée en Turquie par avion, j’y suis restée deux mois. Difficile là-bas car il n’y a rien, c’est pas comme la France. En France si tu n’as pas d’argent on peut te loger, en Turquie tu dors à la rue, moi je dormais dans une maison mais je payais, là-bas il n’y a personne pour t’aider.
Mon objectif c’était l’Europe. J’ai quitté la Turquie, on a traversé la mer.
Au départ j’étais à Istanbul, il fallait d’abord aller à Izmir, on a pris le bus, on a passé la nuit, on nous a gardés dans une maison isolée toute la journée. Vers 23 heures on nous a transportés dans une voiture-fourgon fermée, assis par terre, jusqu’à la mer.
C’était en avril 2015, il y avait des passeurs pour traverser la mer Egée mais on ne les voyait pas. Ils envoient des assistants qui vous fournissent un bateau, là ils ont envoyé un camerounais.
On est montés à à peu près cinquante personnes sur un bateau gonflable genre dinghy, le plancher était même pas en bois, c’était comme une piscine gonflable, c’était risqué, on était très serrés, il y avait des enfants.
Le passage coûtait approximativement trois cents euros.
C’était entre la vie et la mort, tout ça me revient maintenant.
Quand je suis arrivée là j’ai vu le dinghy, c’était isolé, il n’y avait personne, je ne pouvais pas faire machine arrière. J’avais très peur, j’avais déjà versé l’argent. C’était entre la vie et la mort, tout ça me revient maintenant. On était livrés à nous-mêmes, il n’y avait plus de passeurs, y’avait juste un courageux qu’ils avaient nommé capitaine, ils lui ont dit d’aller tout droit, il faisait très froid.
La traversée a été très compliquée, au milieu de la mer le bateau ne marchait plus bien, y’avait de l’eau qui rentrait, j’ai vu la mort. Tout le monde pleurait.
Je sais nager dans une piscine mais pas en mer. On avait des gilets de sauvetage mais combien de temps tu restes en mer avec un gilet de sauvetage ?
Un bateau grec de taille moyenne nous a aperçus, je ne sais pas qui ils étaient. Ils sont venus nous récupérer, ils ont jeté un canot de sauvetage à la mer, ils ont d’abord sauvé les enfants, puis les femmes, puis les hommes, tout le monde a été sauvé.
Sortez et débrouillez-vous !
On est arrivés à l’île de Kos et là on nous a mis à l’abri dans des containers avec des fenêtres. C’était très sale, il y avait des habits abandonnés partout, on est restés quelques heures seulement, on nous a donné à manger.
Ensuite on nous a emmenés dans un centre fermé, un camp, on était plusieurs centaines. Dans ce centre c’était un peu mieux : il y avait des lits, des bâtiments en dur, des dortoirs filles, des dortoirs hommes.
Le problème c’est que les toilettes étaient très sales. La nourriture qu’on nous servait était toute prête on ne savait pas ce que c’était mais moi je mangeais. On pouvait se doucher mais moi je ne me douchais pas car des personnes faisaient leurs besoins dans les douches, c’était très sale, je ne me suis pas lavée pendant trois jours.
C’était de mauvaises conditions, c’était presqu’une prison.
On était là pour être enregistrés, on a pris nos empreintes. Il n’y avait pas d’association, mais il y avait des médecins qui nous examinaient. On nous a donné des papiers et on nous a libérés.
Sortez et débrouillez-vous !
On était nombreux, on a pris un bateau pour aller à Athènes, moi je ne pouvais pas payer, j’étais perdue, quelqu’un m’a aidée. On a fait quelques heures de bateau dans de bonnes conditions et nous sommes arrivés à Athènes, ça se passait en avril 2015.
À Athènes je suis restée quatre mois. J’étais dans un groupe avec des amis, on payait une maison, on payait à manger, mais là-bas il n’y avait pas de travail.
On n’avait aucune aide, rien, pas de contacts avec des associations, en Grèce il y a beaucoup d’immigrés.
Dans ma tête j’avais peur, je suivais les gens.
Ensuite des gens ont trouvé des moyens pour parvenir en Europe à pied. On a pris le bus en Grèce, il nous a laissés à la frontière macédonnienne. On a traversé la frontière sans qu’on nous arrête, on n’a pas rencontré de soldats, et on a dormi une nuit dehors en Macédoine. On a été à pied vers une gare, on a mis quelques heures, c’était long, des gens nous donnaient de l’eau.
On n’était guidés par personne, on était très nombreux sur la route, c’était des files, des femmes avec enfants.
Je me souviens d’une femme avec un bébé de deux mois, on ne rencontrait personne pour nous aider, on était sales.
Pour prendre le train en Macédoine ça a été dur, il y avait beaucoup d’immigrés, on est restés à la gare toute la nuit, le train est arrivé à trois heures du matin. Le train n’était pas cher.
Pour monter dans le train c’était très difficile, on était serrés, c’était dur. Le train est allé jusqu’à la frontière serbe, ensuite on a marché pour passer en Serbie. On gardait de l’eau dans des bouteilles qu’on remplissait, on avait prévu des biscuits, moi je n’avais pas l’appétit pour manger.
Je ne savais pas très bien où j’allais.
En Serbie on a vu des soldats ou des policiers qui nous interdisaient de passer. On est restés à la frontière, on a passé une nuit en attendant que les soldats s’en aillent. Le matin les soldats sont partis, on a cherché des chemins cachés et on est passés, on a réussi à entrer en Serbie.
On a marché six heures pour aller dans un centre, on y est arrivés c’était presque la nuit. Le centre c’était des tentes. Il fallait faire la queue et ne pas sortir de la queue sinon on perdait sa place, on a passé une nuit dans la queue, on dormait par terre, on avait de l’eau parce qu’on avait fait des provisions, personne ne nous donnait de l’eau.
Le matin on a réussi à entrer dans le centre et ils nous ont enregistrés mais ils n’ont pas pris nos empreintes.
Ensuite on a dû repartir car c’était pas un camp pour dormir mais pour vous enregistrer, on nous met dehors, on ne nous donne rien, ni couverture, ni eau, ni nourriture.
On continue à marcher, je ne savais pas très bien où j’allais, personne pour nous orienter, j’étais perdue. Je suivais un groupe d’une dizaine de personnes depuis la Turquie, des amis, il y avais des syriens, très peu de francophones, et un ami camerounais. D’autres exilés prenaient d’autres routes. Notre destination c’était la Hongrie.
Il y a eu des marécages à traverser à pied, personne ne nous aide, les garçons sont passés devant pour voir où l’on pouvait passer, j’étais couverte de boue qui sentait mauvais, jusqu’aux genoux.
On voyait sur les plaques d’immatriculation le logo de l’Europe : on était en Europe !
On a beaucoup marché pour parvenir à une gare, une journée. A la gare on a pris le train et on a été à la frontière hongroise. On a commencé à marcher dans des forêts, on est arrivés en Hongrie. Des policiers circulaient, des bus ramassaient les gens, on a été ramassés par un bus avec la police.
On voyait sur les plaques d’immatriculation le logo de l’Europe : on était en Europe !
Le bus nous a emmenés dans un centre fermé, c’était des tentes. On est restés trois jours, on nous donnait des biscuits et de l’eau, pas de fruits, il n’y avait pas de douches, juste un tuyau avec lequel ils ont créé une douche. Une voiture nous a emmenés dans un bureau. On nous enregistre, on nous prend les empreintes. On signe des papiers dont on ne comprend pas le sens car il n’y a pas de traducteur.
Et c’est là que j’ai fait une demande d’asile prise en compte par l’administration hongroise sans le savoir.
Durant tout ce périple, je n’avais pas de téléphone portable. Je n’ai pas eu de liaison avec ma famille ou mes amis.
Après le centre d’enregistrement on nous emmène dans un centre ouvert, celui de Debrecen. Je suis restée là deux semaines car je devais attendre qu’on me fournisse une carte de circulation. Les conditions matérielles sont bonnes : douches, toilettes, nourriture, j’ai pu souffler. Ce sont des bâtiments en dur. On n’a rien à faire dans la journée.
Au bout de deux semaines on nous donne une carte de circulation et on nous demande de sortir : ni aide sociale, ni argent.
J’étais démunie, sans argent. De plus parce que je suis noire j’ai vécu le racisme en Hongrie.
Le groupe avec lequel j’étais voulait continuer, les syriens voulaient aller en Allemagne. Moi depuis la Serbie j’avais décidé d’aller en France, on était quelques uns à vouloir y aller. Des personnes sont allées à pied en Allemagne en passant par l’Autriche.
J’étais en procédure Dublin.
De Hongrie quelqu’un est venu chercher mon ami camerounais en voiture pour l’amener en France et je l’ai accompagné car j’étais seule, je n’avais personne. Je suis arrivée le 7 octobre 2015 à Lyon, je n’y suis pas restée, nous sommes allés à Paris.
Le trajet depuis la Hongrie a duré un jour et une nuit. On était quatre dans la voiture, avec des camerounais.
A Paris j’ai appelé le 115 mais c’était compliqué d’obtenir un hébergement. On m’a conseillée d’aller à Chartres où ce serait plus facile. Je suis allée à Chartres, je me suis présentée à la Préfecture et j’ai été prise en charge et hébergée.
Je suis restée six mois à Chartres. J’étais en procédure Dublin. La France a fait la demande à la Hongrie d’une prise en charge et au bout de quelques mois la Hongrie a accepté.
A la Préfecture on m’a donné un billet d’avion pour la Hongrie mais je voulais rester en France, je ne me suis pas présentée, je me suis enfuie. J’ai donc été placée “en fuite”. Il me fallait attendre dix-huit mois pour avoir le droit de refaire une demande d’asile à la France.
Je suis allée à Toulouse, le 115 m’a prise tout de suite en charge je n’ai pas passé de nuits dehors. J’ai d’abord eu une place en centre d’hébergement d’urgence, puis dans le foyer “La maison des Allées” où je suis restée.
Au bout des dix-huit mois j’ai pu faire ma demande d’asile qui a été enregistrée le 24 novembre 2017.
On m’a alors orientée vers Montauban où j’ai intégré le CADA AMAR le 12 décembre 2017.
Le changement, quitter Toulouse ça a été très dur pour moi au début, maintenant ça va mieux.