• Association Montalbanaise d'Aide aux Réfugiés

T.

Côte d’Ivoire

Témoignage recueilli le 3 juillet 2019

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J

e suis né le 1er janvier 1986 en Côte d’Ivoire. J’ai vécu à Bouaké, au nord d’Abidjan.

Quand c’est devenu chaud en Côte d’Ivoire j’ai fui. Je suis passé par le Burkina et je suis resté cinq ans à Ouagadougou la capitale.

Il y avait la crise dans mon pays, une guerre civile, c’était en 2011. Le Burkina laissait passer les réfugiés, il accueillait ceux qui fuyaient la crise.

En Côte d’Ivoire j’étais couturier dans une école de gendarmerie.

Pour partir je suis passé à la gare routière. Je suis monté dans un camion de marchandise caché dans un container. A chaque ville ceux qui me transportaient ouvraient un peu pour que j’ai de l’air. J’étais seul et je ne pouvais pas sortir même entre les villes. Ce n’était pas payant car un chef rebelle que je connaissais avait un ami, c’est lui qui conduisait le camion.

La première ville traversée a été Bobo.

Le trajet a été long et difficile, il faisait chaud. J’avais de l’eau et de la nourriture. Je n’avais pas de papier. On a quitté Bouaké le 4 avril 2011 et on est arrivé le 6 avril à Ouagadougou, le trajet a duré 48 heures.

Je suis resté cinq ans au Burkina, les débuts n’ont pas été faciles, je suis allé à la gare, j’ai galéré car je n’avais pas de papier. Je demandais à manger dans les kiosques aux personnes rencontrées, j’étais perdu.

Un jour j’ai croisé quelqu’un qui est devenu un ami : Tao.

Là, il y avait beaucoup d’ivoiriens, les gens aidaient. Au bout d’une semaine j’ai croisé quelqu’un à la gare, un burkinabé, je me suis confié à lui, j’ai expliqué mon problème. Il m’a dit “Je suis un homme de métier : la couture”. Son frère avait un atelier de couture et il pouvait m’aider. On a d’abord été chez lui pour que je sois présenté, j’ai dit ce que je savais faire, j’ai montré, j’ai fait quelque chose de bien. Et là je suis resté avec lui, il m’a hébergé. La couture c’était des tenues d’apparat, des vareuses, c’était difficile à faire.

L’atelier était grand, j’avais une chambre à côté de l’atelier.

Il y a eu un problème avec le Président Burkinabé, il a été renversé en 2015. J’ai dû partir à cause des conflits, il y avait des tirs, les rebelles étaient actifs, je n’avais pas de papier et j’ai eu peur d’être pris pour un rebelle.

On nous vole tout : argent, montre, chaussures, portable.

Je suis parti vers la Libye. Le patron de l’endroit où je travaillais avait son petit frère qui faisait l’école coranique en Libye.

D’abord je suis allé au Niger. A Niamey puis à Agadez. Mon ami Tao a voulu partir avec moi pour rejoindre son frère en Libye. J’ai fait ce trajet sans être caché, dans des cars. Agadez c’était le terminus. Pour affronter le désert il faut prendre des pick-up 4×4. On est entassés les uns sur les autres. Dans la cabine on couche les uns sur les autres jusqu’à vingt personnes. A l’arrière on est debout et sur les bords on tient grâce à des bouts de bois, en tout on peut transporter cent personnes. Le passeur-chauffeur peut être un libyen ou un nigérien.

On part en convoi, les voitures se suivent.

Si des gens tombent du pick-up on ne s’arrête pas. Si quelqu’un tombe et meurt, alors on fait une tombe. Moi je ne suis jamais tombé.

Au départ d’Agadez chacun a son bidon d’eau de quatre litres. A un moment l’eau devient tellement chaude qu’on ne peut pas la boire. Quand l’eau est finie on peut mourrir de soif ou alors on boit de l’eau sale.

A l’arrière du 4×4 il y a des bidons d’essence, ça nous brûle le dos.

On mange la gari, de la semoule de manioc qu’on met dans de l’eau avec du sucre et qui gonfle, il n’y pas d’autre nourriture à Agadez.

Il a fallu un mois pour aller d’Agadez à Sebha en Libye. J’ai fait tout ce trajet avec Tao.

Il y a des contrôles dans le désert, des brigands qui rackettent. Certains Haoussas sont méchants au Niger, ils nous prennent l’argent, ils nous frappent, ils violent les femmes. Ils ont créé un corridor où on nous déshabille, on nous fouille, on fouille intimement les femmes pour trouver ce qu’elles cachent.

On a été rackettés au moins à vingt barrages. Le passeur est complice avec les brigands. On nous vole tout : argent, montre, chaussures, portable. A ce moment je n’avais pas de papier.

En temps normal il faut quatre jours sans pause pour faire le trajet avec deux chauffeurs. Nous on a mis plus longtemps, comme on était trop nombreux il y eu une panne. Il a fallu attendre dans le désert pour une pièce.

Après une semaine l’eau était finie. Il faut attendre un convoi qui passe pour qu’on nous donne un peu d’eau. Après on partage en buvant chacun une très petite gorgée. Le passage coûtait 50 000 CFA du Niger, à peu près 80 euros.

Quand on est arrivé à Sebha en Libye, des passeurs nous attendaient.

On est très nombreux et on doit rester cachés. Ils ont des foyers : des cabanes en bois, ils mettent des bâches par terre, ou bien des maisons pas achevées où ils nous mettent. Les passeurs ce sont des rebelles. Pour aller à Tripoli il faut payer 70 000 CFA. On paye. On arrive à cacher l’argent qui reste comme on peut. Mais même quand tu as payé c’est pas évident que tu arrives où tu veux car d’autres rebelles peuvent te bloquer et te prendre en otage. En sortant du foyer, à quelques centaines de mètres, des rebelles en tenue nous ont capturés alors que j’avais déjà payé. Là on nous a mis dans un camp comme une prison. Dans une maison fermée. Trois cents personnes dans une pièce, avec un grand bidon d’eau et un endroit pour faire ses besoins. Chacun lutte pour manger, pour boire. C’est la bagarre.

On te fait sortir un à un, on te frappe afin que tu appelles tes parents pour qu’ils donnent de l’argent. On vous met nu sur le sol sur une surface cimentée brûlante, on te frappe, tu te contorsionnes, ton argent caché sort.

Tu dois donner un numéro de téléphone au pays et des complices qui sont sur place dans ton pays iront récupérer l’argent. On m’a frappé parce que je n’avais plus rien, plus d’argent et pas de numéro de téléphone. Pendant cinq jours mon ami Tao et moi on a été frappés.

Ensuite ils ont rappelé les passeurs qui nous ont remis Tao et moi sur un pick-up, on a été jusqu’à Benghazi et là j’ai été séparé de Tao.

J’étais prêt à mourir.

J’ai d’abord été dans une grande prison dans la montagne, une vraie prison. On avait des chaînes aux deux poignets avec des cadenas. Quand ça chauffe ça te blesse. J’ai été blessé aux deux poignets.

Dans cette prison j’étais entre la vie et la mort. Je pensais mourir, tout ce qui venait dans ma tête c’était mourir. J’ai pensé me suicider. On nous frappait.

Dans ces lieux on ne dort pas. Tu es assis. Ceux qui peuvent dormir en s’allongeant sont ceux qui ont gagné leur place en se battant. Je suis resté en prison à Benghazi deux mois, quand tu sors de ça tu ne sais même plus quel jour il est. J’ai été frappé pendant deux mois, n’importe quand. Quand c’était fini d’autres groupes de gardiens arrivaient.

Le repas : pain dur qu’on était obligés de mouiller avec de l’eau pour le manger et spaghettis. Les gens se battaient. Si tu es au fond de la pièce tu n’as pas les spaghettis, ils sont finis. Les toilettes : une rangée de briques où on fait ses besoins, jamais nettoyée. Ça sentait très mauvais. Ceux qui s’évanouissent on les sort. Dans la cour on nous met les chaînes.

On nous bat pour obtenir de l’argent, c’est toujours le même système. Au bout de deux mois ils ont vu qu’il n’y avait plus rien à gagner avec moi. J’ai été obligé de donner le numéro de téléphone de ma femme pour que je ne sois plus frappé, je savais qu’elle ne donnerait pas d’argent, je lui ai dit en malinké de leur faire croire que l’argent arrivait. On m’a mis de côté. C’est là que j’ai été séparé de Tao. J’ai été transféré à Tripoli.

Là-bas c’est d’autres personnes, c’est une autre bande.

On nous cache dans les coffres des voitures, ou sous des briques dans des camions, on est enfermés. Moi j’étais avec quatre autres dans un coffre de voiture.

A Tripoli c’était aussi une prison, c’était les mêmes sévices. C’est à Tripoli que j’ai eu ma blessure.

Durant quatre mois l’argent n’arrivait pas, ma femme n’avait pas envoyé d’argent, ils m’ont tapé encore plus fort du matin jusqu’au soir. Ils nous traitaient comme si nous n’étions pas des hommes, la peau noire pour eux c’est de la marchandise.

Comme l’argent ne venait toujours pas, j’ai été frappé pendant deux jours sans nourriture et sans eau. Ma main gauche blessée par les chaînes s’est infectée, ça sentait très fort, du pus sortait, il y avait des mouches.

J’ai appelé ma femme et lui ai demandé de changer de numéro de téléphone.

J’étais prêt à mourir.

Il fallait maintenant qu’ils me vendent comme esclave. Ça se passe dehors dans une grande salle. Un monsieur a fait son choix, il a eu pitié de moi à cause de ma main. Il parle français. Il me prend, je l’ai suivi. Il avait un magasin, un supermarché : fruits, légumes etc… Il m’a soigné, mais pas à l’hôpital, avec des produits.

Il m’a posé la question : qu’est-ce que tu viens faire en Libye ? Il m’a dit ici c’est un pays qui n’est pas bon pour toi, tu peux encore être capturé. Je suis resté deux mois chez lui, j’ai travaillé sans être payé. Ma main n’était pas tout à fait guérie.

C’est lui qui m’a envoyé en Italie. Dans un zodiaque.

Avant je ne savais pas ce que c’était l’asile.

Ça c’est passé le 7 juillet 2016, à 23 heures. Il m’a confié à d’autres personnes, un groupe de noirs entassés et cachés. Il fallait gonfler les bateaux en caoutchouc. Le bateau qui était parti avant nous contenait 250 à 300 personnes dans un caoutchouc, c’était des femmes et des enfants, ils ne sont pas arrivés. Sur la berge on a entendu les gens qui communiquaient par talkie-walkie, les personnes du bateau ont appelé : le bateau coule. Ces gens sont morts.

Cette nuit-là on est partis à deux bateaux, le premier est parti à minuit, le second à une heure du matin. J’étais dans le second, on n’était que des hommes.

Quand tu vois l’état de l’eau, ça fait peur. Ils te disent: “Toi tu es capitaine, la boussole on s’en sert comme ça”, alors que tu ne l’as jamais fait. Ils ont poussé le bateau. Ils ont dit “Si vous faites demi-tour c’est la prison directe avec les gardes-côtes”. On était terrifiés.

Le capitaine a su maîtriser le navire.

Partis à une heure du matin on est arrivés en zone italienne le 8 juillet 2016 à onze heures et on a vu un gros bateau d’une ONG qui secourait les migrants. Ils ont lancé des cordes, tout le monde voulait monter, ça a été la bagarre.

J’étais épuisé, j’ai perdu connaissance.

Sur ce bateau je suis resté deux jours. On m’a soigné la main. Ensuite on a été transbordés dans un autre gros bateau d’une association, la Croix-Rouge je crois. Il nous ont amenés en Sicile à Trapani.

Là j’ai été hospitalisé et soigné. On m’a mis du sérum, on m’a hydraté. J’avais des diarrhées. Puis j’ai été mis dans un foyer pour faire les démarches et continuer mes soins.

On m’a pris les empreintes. Avant je ne savais pas ce que c’était l’asile. J’ai fait la demande d’asile, on m’y a obligé mais moi j’avais envie de la faire en France.

En Sicile les gens sont racistes. Dans le foyer de migrants des gens venaient pour nous exploiter en nous faisant travailler dans les champs. Le patron devait soi-disant nous payer soixante euros mais en fait il nous donnait dix euros et on était mal nourris. Le chef du centre organisait ce travail mais on ne nous forçait pas à travailler. Les patrons viennent voir le chef du centre, qui prend une commission car c’est lui qui nous paye.

Au bout d’un an j’avais économisé. J’ai pris la fuite sans dire au revoir.

J’ai pris un bus jusqu’à Palerme, puis de Palerme je suis allé en bus jusqu’à Milan. Ensuite j’ai fait Milan-Turin puis Turin-Vintimille en bus. A Vintimille j’ai pris le train jusqu’à Nice. Je n’ai pas été contrôlé.

La chance que j’ai eue c’est que j’étais assis à côté d’une dame française, j’étais bien habillé, ça m’a sauvé. La dame a traversé la gare avec moi, j’avais porté son sac à sa demande pour faire comme si nous étions ensemble.

Je suis arrivé à Nice le 13 juillet 2017 à vingt-deux heures, un jour avant l’attentat. J’y suis resté deux jours.

J’ai pris le bus pour Paris. Une nouvelle galère. Je suis resté un mois dehors à la Porte de la Chapelle. Des associations nous donnaient du café et de la nourriture. Je suis allé à la Préfecture, la machine à empreintes ne marchait pas.

L’OFII m’a envoyé à Toulouse au Prahda d’ADOMA dans le quartier de la Vache. Les empreintes ont été prises et j’étais en procédure Dublin, je pointais tous les quinze jours à la Préfecture pour voir si l’Italie avait répondu à leur demande de transfert.

En août 2018 j’ai été transféré au Centre de Rétention Administrative de Cornebarrieu pour être renvoyé en Italie. J’y suis resté un mois. La CIMADE m’a défendu. Ils ont dit: “Monsieur a fait six mois en France donc il peut rester ici”. Ils ont fait un recours.

La police m’a mis les menottes et on m’a mis dans l’avion vers Paris car à cause des grèves d’avion il n’y avait pas de ligne directe de Toulouse vers l’Italie. Mais à Paris, il n’y avait pas non plus d’avion pour l’Italie donc ils m’ont mis dans un Centre de Rétention Administrative.

Au CRA de Paris j’ai dit “Je ne peux pas rester ici ! Je ne veux pas !” J’ai crié, j’ai refusé les menottes, j’étais fatigué. Ils ont appelé l’OFII, on m’a renvoyé en avion à Toulouse. La CIMADE a continué à suivre mon dossier qui était en cours.

Ils ont reprogrammé un avion pour l’Italie.

La CIMADE m’a dit: “Tu peux refuser de partir”. La Police est venue à quatre heures du matin, on m’a mis les menottes, mis dans une voiture puis dans l’avion. Le commandant m’a demandé si je voulais partir. J’ai dit oui. J’en avais marre.

Je suis arrivé à Rome, la police italienne m’a accueilli, m’a donné un peu de nourriture et m’a dit: “Monsieur vous êtes libre, allez-y ! Partez où vous voulez”. Ils m’ont chassé. Il fallait que je parte. Je suis allé à Milan en train puis j’ai dormi.

Au matin l’avocat qui travaillait pour la CIMADE m’a appelé :

– “Monsieur “T.”, vous êtes où ?”
– “En Italie !”
– “Ils n’ont pas le droit ! Revenez !”

J’avais un peu d’argent. J’ai appelé les personnes du Prahda de la Vache à Toulouse, ils m’ont dit: “Oui, vous avez une place”. J’ai pris mon billet. J’ai fait Milan-Paris en bus de nuit, puis à onze heures du matin j’ai pris un bus Paris-Toulouse et je suis arrivé au Prahda.

Le lendemain j’ai vu l’avocat, on a eu une audience au Tribunal Administratif. J’ai expliqué au juge. Le lendemain mon avocat m’a dit: “Tu restes en France”.

Je suis arrivé au CADA d’AMAR à Montauban le 3 avril 2019.

Les routes de l’exil

Sommaire

H-Rdc-carte-exil

H. – République Démocratique du Congo

Témoignage recueilli le 3 août 2018

M-somalie-carte-exil

M. – Somalie

Témoignage recueilli le 8 novembre 2018

A.M.A.R.

05 63 22 17 00
24 rue Caussat, 82000 Montauban