• Association Montalbanaise d'Aide aux Réfugiés

M.

Somalie

Témoignage recueilli le 8 novembre 2018

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J

‘ai quitté la Somalie pour rejoindre l’Ethiopie en juin 2007, j’étais un jeune garçon de quinze ans. Je suis parti blessé. Ma vie et celle de mes proches étaient en danger. Je l’ai fait pour sauver ma vie, en fait j’aurais voulu y rester, je n’avais aucune idée de l’endroit où j’irais en m’enfuyant, je ne savais pas que je viendrais en Europe.

Je suis arrivé en Ethiopie en voiture. Après le décès de mon père j’ai dû me débrouiller par mes propres moyens. Je suis resté en Ethiopie plus d’un an et demi.

J’ai été hospitalisé dans un hôpital presque tout le temps, j’étais alité, j’avais une balle dans la jambe et deux balles au niveau des poumons. Un médecin allemand m’a soigné, je devais le payer. Je n’ai bénéficié d’aucune aide d’aucun organisme. Mon oncle paternel qui vit en Ethiopie lui m’a aidé.

C’est en Ethiopie que j’ai décidé de ne pas retourner en Somalie car là-bas j’étais recherché. Ma mère a dû se cacher et déménager car elle était en danger.

On m’a mis en relation avec un passeur.

Je suis allé en voiture en Érythrée, j’y suis resté deux semaines, puis le passeur m’a amené au Soudan. Ça m’a coûté trois à quatre cents dollars. Traverser les frontières la nuit c’est facile, c’est pas surveillé. Du Soudan d’autres passeurs ont pris le relais pour m’amener en Libye.

On roule toute la nuit. Le jour on dort dans des petites maisons. Le jour il fait très très chaud. Le repas c’est du pain et de l’eau, on mange dans la voiture.

Il y des tas de morts dans le désert, si ça se passe mal on te jette de la voiture et tu n’as plus aucune chance.

Je suis arrivé à Benghazi. D’autres passeurs prennent le relais. Ils nous rassemblent dans un lieu pour attendre qu’on soit assez nombreux pour nous mettre dans un bateau. Tu peux attendre plus d’un mois.

On est allés à Tripoli. A Tripoli on était cent vingt personnes sur le départ. Les passeurs somaliens et les passeurs libyens ne se sont pas entendus, il y a eu un désaccord, ils se sont battus, la police est intervenue et on nous a mis en prison.

On est restés deux semaines sur l’eau. Il n’y avait plus d’eau, nous n’avions plus rien à manger.

La prison en Libye c’est l’enfer, j’y suis resté deux ans.

Tu ne manges qu’une fois par jour, une galette. On pense constamment qu’on va mourrir, le seul état d’esprit dans lequel je me trouvais était: “Est-ce que je vivrai demain ?”.

Je n’avais aucune nouvelle de ma famille.

Les libyens sont très racistes, ils détestent les noirs. Nous subissions de mauvais traitements. Les gardiens buvaient et quand ils étaient saouls ils te disaient “Viens par ici, allonge-toi par terre !” et ils te marchaient dessus.

Ils te disaient : “De quelle couleur est le prophète ? De quel droit tu te permets de le moquer avec ta couleur de peau ?”.

Quand il y a eu la guerre en 2011, avec la chute de Kadhafi, personne n’était plus là pour surveiller la prison, je me suis enfui, on a profité de l’état de combats. Alors on a pris un bateau à Tripoli.

Comme c’était l’état de guerre civile les passeurs ne se cachaient plus, ils faisaient ce qu’ils voulaient. Avant sous Kadhafi le coût du passage était moins cher, après c’était plus cher.

On a pris un bateau pneumatique à moteur, on était quatre vingts personnes, le prix était de cinq cents dollars par personne. Il y avait une personne qui savait manier le bateau, elle nous a suivis jusqu’au bout et a fait comme nous une demande d’asile.

Le moteur est tombé en panne. On est restés deux semaines sur l’eau. Il n’y avait plus d’eau, nous n’avions plus rien à manger. Une femme enceinte est morte et un homme aussi.

Un bateau européen, un grand, est arrivé. Il nous a donné de l’eau et a dit d’abord aux femmes de monter à bord, puis les hommes sont montés. C’était un cargo avec des containers.

Le bateau nous a amenés à Catane en Sicile. Avant je n’avais pas de moyens de communication. Une fois arrivé en Italie j’ai pu appeler ma famille.

De jeunes somaliens m’avaient conseillé d’aller en Suède.

On m’a pris mes empreintes. On m’a mis dans un centre pour mineurs, ils ont dit que j’avais seize ans alors que j’en avais vingt-et-un ! C’était très dur, une prison. On nous donnait dix euros par semaine. Un jour on m’a volé dix euros et le responsable n’a pas voulu croire qu’on me les avait volés alors j’ai quitté le centre. Je n’ai pas pu demander l’asile puisqu’ils considéraient que j’étais mineur.

J’étais parvenu à mettre trente euros de côté.

Je suis allé à Rome en bus, le trajet a duré un jour et demi. Je suis resté un mois à Rome. Le Secours Catholique-Caritas nous aidait, il nous hébergeait la nuit, il nous donnait des habits. J’ai essayé d’expliquer mon cas aux gens de l’église, ils m’ont dit: “On ne peut rien faire pour toi, on n’a pas de pouvoir pour contraindre l’Etat”. Ils m’ont donné des sous pour voyager, c’est avec ces sous que j’ai pu payer le trajet vers la Suède.

De jeunes somaliens m’avaient conseillé d’aller en Suède car là-bas la vie était correcte.

Je suis allé en bus de Rome à Milan. A Milan j’ai pris un bus pour la Suède. Les chauffeurs ont fait attention pour surveiller les frontières et passer aux bons moments, aux bons horaires, c’était tout un système. Le trajet en bus a duré deux ou trois nuits. C’était un long voyage, on dormait dans des squats, dans des immeubles où vivaient des gens de la rue.

On m’a mis dans un avion comme un criminel.

Je suis arrivé à Stockholm en février 2013. J’ai déposé mes empreintes et j’ai fait ma demande d’asile. A Stockholm j’ai eu une très bonne vie mais il fallait que je retourne en Italie parce que j’étais dubliné : mes empreintes avaient été prises en Sicile.

On a attendu la réponse de l’Italie. On m’a donné des sous, une carte bancaire, une couverture santé, un foyer où je pouvais me faire à manger. On m’a soigné. Tout allait bien !

Au bout d’un an l’Italie a accepté mon retour et a dit “Renvoyez-le nous !”. On m’a mis dans un avion comme un criminel. Comme je refusais de partir ils m’ont enfermé dans un centre de rétention. Devant les voyageurs les policiers étaient gentils, mais loin de leurs regards ils l’étaient moins.

J’ai pris l’avion.

Quand je suis arrivé à l’aéroport de Rome, les policiers m’ont dit “Tu t’en vas !” et ils m’ont amené à la gare “Va-t’en! Allez, allez !”.

J’ai essayé de m’expliquer, de déposer une demande d’asile, ils n’ont rien voulu savoir et à la Préfecture ils ne voulaient pas de moi. Je suis resté là un à deux mois. Il faisait froid.

Je suis retourné à Milan et puis ensuite j’ai retraversé la frontière vers l’Allemagne en bus. Je suis arrivé à Hambourg en août 2015. J’ai déposé mes empreintes et j’ai redemandé l’asile. Je ne demandais d’aide à personne, je ne demande pas d’aide aux gens, c’est à l’Etat que je demande de l’aide.

J’ai passé ma vie à me battre jusqu’à maintenant !

L’Allemagne c’était bien: on vous considère. J’ai eu une belle vie comme en Suède. On vous donne un logement, de l’argent, tout ! J’y suis resté un an et quelques mois.

Puis j’ai été renvoyé en Italie. “Retourne en Italie !”.

L’Allemagne ouvrait ses portes, elle avait accueilli et conservé des dublinés comme moi, mais moi je n’en ai pas bénéficié ! Je suis retourné en Italie.

Je ne suis pas resté en Italie. Je suis allé en Norvège, à Oslo. Là-bas ils sont méchants, ils m’ont mal accueilli. Je suis resté quelques mois chez un ami. Je n’avais pas de papier, je ne pouvais rien faire.

Ensuite je suis retourné en Italie mais de mon plein gré. Et j’y ai vécu quelques mois en 2017. Ma vie c’était comme en Somalie, je trouvais des petits boulots dans l’agriculture ou porter des sacs, c’est comme ça qu’on vit en Italie. On était payé vingt ou trente euros par jour parfois moins. L’hiver commençait à arriver, je suis retourné en Allemagne.

Des gens m’ont conseillé de changer de nom, de falsifier les dates, moi je n’ai pas voulu. J’ai redéposé une demande d’asile mais les fonctionnaires ont vu quelle était ma situation vis-à-vis de l’Italie.

En 2018 l’Italie a dit qu’il fallait que j’y revienne. J’ai fui vers la France.

En juin 2018 j’étais Porte de la Chapelle à Paris. On m’a pris les empreintes mais mes anciennes empreintes avaient disparues, les empreintes c’est pas à vie, il y a un délai où elles s’effacent.

J’ai donc demandé l’asile, on m’a donné tout un dossier en français, personne n’a été capable de me dire ce qu’il y avait dedans, parce que personne ne parlait anglais pour me l’expliquer. Un jeune érythréen m’a aidé à faire le dossier en français.

C’est bon le cauchemar s’est arrêté. J’ai passé ma vie à me battre jusqu’à maintenant !

A Paris je vivais dehors, c’était aussi mal qu’en Italie. La seule différence c’est qu’en France les gens sont plus gentils, ils s’arrêtent, ils te donnent de la nourriture, de l’argent. Puis j’ai été hébergé deux nuits gare du nord, puis un mois dans un foyer.

On m’a envoyé à Toulouse dans un centre ADOMA dans le quartier de la Vache, j’y suis resté trois semaines. Puis l’OFII m’a orienté vers AMAR à Montauban.

J’ai fait un Blablacar et je suis arrivé au CADA AMAR de Montauban en juin 2018.

Les routes de l’exil

Sommaire

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H. – République Démocratique du Congo

Témoignage recueilli le 3 août 2018

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T. – Côte d’Ivoire

Témoignage recueilli le 3 juillet 2019

A.M.A.R.

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